mardi 19 février 2013

Nomadisme et possessions matérielles

Les consommateurs sont souvent attachés à leurs possessions matérielles. Certaines d'entre elles occupent même une place privilégiée. Les objets qui renvoient à des liens affectifs, qui relient des individus entre eux ont un statut particulier. L'explication la plus couramment avancée est que les biens matériels sont centraux dans la vie des individus parce qu'ils participent à la construction identitaire. Cet attachement aux objets est-il le même pour tous les individus?
Le monde actuel est caractérisé par davantage de mobilité et certains individus en font un style de vie. Dans la société globalisée, de plus en plus d'individus sont susceptibles de voyager ou de déménager souvent. Comment ces individus conçoivent-ils leur rapport aux biens matériels?
On observe un certain détachement. Les objets deviennent plus fonctionnels et sont moins investis affectivement. Le consommateur évalue l'intérêt d'un objet en comparant la situation de mobilité dans laquelle il se trouve avec la situation sédentaire mais aussi nomade dans laquelle il se trouvait précédemment et celle-ci est rarement satisfaisante. Un objet qui avait du sens dans un contexte initial, perd de son sens dans un contexte de mobilité. Par exemple, un smartphone dont la possession est tout à fait pertinente à New-York, perd de son intérêt dans un pays comme l'Azerbaidjan du fait du développement des infrastructures de communication et de la signification sociale de disposer d'un tel objet. Aussi s'adapter au contexte social, technique et culturel du lieu de destination conduit les consommateurs à se détacher des biens matériels et à voyager sans emporter beaucoup d'effets ou d'objets. Plus encore, alors que lors des premières expériences de nomadisme les consommateurs avaient tendance à acheter des souvenirs caractérisant les lieux dans lesquels ils ont vécu, l'engagement progressif dans une vie plus radicalement nomade a conduit ces consommateurs à privilégier les souvenirs mémoriels au détriment des souvenirs matériels. Dans ce qui précède, il faut identifier plusieurs processus qui sont à l'oeuvre dans le rapport aux biens matériels. Le premier est lié à la valeur symbolique. Celle-ci varie d'un contexte social à un autre. Le second est lié à la valeur fonctionnelle de l'objet. Dans un contexte donné un objet peut être fonctionnel, alors qu'il ne l'est plus dans un autre. De manière plus transversale, un troisième processus concerne le désengagement du monde des objets et privilégie l'immatériel au détriment du matériel, autrement dit la nature du lien qui caractérise la relation de l'individu se distend et les biens matériels ne sont plus investis affectivement.
C'est en ce sens que les possessions deviennent "liquides". Les individus qui s'engagent dans le nomadisme sont ainsi en mesure de changer le rapport aux objets en s'adaptant au contexte. L'aliénation  aux objets souvent envisagée comme insurmontable semble ici relativement aisément contournée par les consommateurs. Il n'y a donc pas de fatalité à cette relation dévorante aux objets.


Bardhi F., Eckhardt G.M., Arnould E.J. (2012), Liquid Relationship to Possessions, Journal of Consumer Research, 39, October, 510-529.